Livres de novembre – décembre
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LA FEMME QUI EN SAVAIT TROP
Marie Benedict
Presses de la Cité, 317 pages
Dans ce récit à la première personne, Marie Benedict redonne vie à une femme hors du commun, dont le plus grand rôle fut oublié, voire ignoré, durant des décennies… et ce n’est pas celui dont se souviennent les cinéphiles…..
En 1933, à 19 ans, Hedwig Kiesler, actrice viennoise d’origine juive, épouse Friedrich Mandl, un riche marchand d’armes proche de Mussolini. Conscients de la menace qui vient d’Allemagne, ses parents cherchent, par ce mariage, à la protéger, quitte à accepter pour cela une conversion au catholicisme. Malheureusement, Mandl s’avère être un homme possessif et opportuniste. D’abord opposé à l’Anschluss, il finit par retourner sa veste et obtient les faveurs de Hitler. Horrifiée, Hedy parvient à s’enfuir et s’installe aux Etats-Unis, où elle devient Hedy Lamarr, la superstar hollywoodienne dont on se souvient.
Malgré le faste et les mondanités, elle ne peut cependant oublier l’Europe et décide de contribuer à sa façon à l’effort de guerre. Grâce à son intelligence et avec l’aide d’un compositeur George Antheil, pianiste et inventeur, elle conçoit un système de codage des transmissions révolutionnaire – technologie destiné à l’origine au radio-guidage des torpilles. Malgré le dépôt officiel du brevet de leur « système secret de communication » et parce qu’elle est une femme, actrice de surcroît, la marine américaine ne donne pas suite à cette invention. Il faudra attendre la crise de Cuba et la guerre du Vietnam pour que le procédé soit utilisé.
Cette invention sera à l’origine, entre autres, du Wifi et de nos téléphones portables.
Mais à l’époque comment accorder le moindre crédit scientifique à la plus belle femme du cinéma ?
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LES EXPORTÉS
Sonia DEVILLERS
Flammarion, 288 pages
Dans « Les exportés », son premier livre, la journaliste de France Inter lève le voile sur les exactions dont a été victime la communauté juive sur le sol roumain de 1940 à 1989. Après une Shoah roumaine, la dictature communiste fit commerce de ses juifs, exportés vers des pays européens puis vers Israël, d’abord troqués contre du bétail avant d’être vendus pour des devises.
L’auteur nous raconte les dessous de l’arrivée en France de sa mère et de ses grands-parents en 1961, juifs et roumains ayant fui la Roumanie communiste de Ceaușescu, à la faveur d’un innommable trafic humain et remet en lumière un des secrets longtemps les mieux gardés.
Il leur en avait coûté une rançon de 12 000 dollars qu’ils mirent leur vie à rembourser. La Securitate fit de ce très juteux commerce de juifs contre bétail – porcs, vaches, moutons, taureaux, etc., de la plus haute qualité importés d’Australie, de Nouvelle-Zélande, du Danemark ou encore de Grande-Bretagne – une de ces ressources majeures. Dans une Roumanie communiste exsangue des décennies 1950, 1960 et 1970, la police politique secrète devint ainsi le premier producteur de viande destinée à l’export, grâce à de la main-d’œuvre de prisonniers.
Rien peut-être n’aurait été possible sans un personnage aussi intrigant qu’incontournable, Henry Jacober, lui-même juif d’Europe centrale devenu britannique, qui avait le bras très long et de très précieux relais dans la Securitate, pour orchestrer ce commerce.
Pour remettre en lumière ce commerce des hommes longtemps tenu dans le plus grand des secrets, elle s’est appuyée sur les travaux d’historiens, dont ceux, incontournables, de Radu Ioanid, aujourd’hui devenu ambassadeur de Roumanie en Israël.
Des 750 000 juifs roumains d’avant-guerre, massivement exterminés, ou exportés, vendus, contraints à l’exil, il en resta à peine 10 000 à la chute du communisme.
Les critiques de ce livre sont à la hauteur de ce que l’on ressent en le lisant : un récit historique bouleversant qui se lit comme un roman.
LE PARDON
Vladimir JANKELEVITCH
paru en 1967, réédition 2022 Champs essais, 273 pages
Présentation (brillante et éclairante) de Laure BARILLAS, 24 pages
Le philosophe, Juif français d’origine russe (1903-1985), qui a fait du pardon la plus haute valeur de son éthique (Traité des vertus, 1949) se trouve confronté à ce paradoxe : la possibilité théorique du pardon, lequel est décrit comme un don sans conditions, et dans le même temps son impossibilité effective face aux crimes nazis.
Lui, le résistant, qui a pu échapper à la déportation, voit deux conditions minimales au pardon : que l’offenseur ait demandé pardon et que l’offensé puisse répondre lui-même à cette demande.
Dans cet ouvrage imprégné de philosophie grecque, de références juives et chrétiennes, l’auteur décline en une riche réflexion les formes proches du pardon : la clémence, la grâce, l’oubli, l’amnistie, l’excuse, l’indulgence… Il revient sur la question du mal et s’interroge sur la pertinence de la formule « comprendre c’est pardonner ».
Il faut suivre attentivement la pensée érudite et dense, l’écriture exigeante, parfois ardue, cependant apte à rompre avec les subtilités métaphysiques pour asséner des vérités directes, brutales :
« Le pardon n’est pas destiné aux bonnes consciences, ni aux coupables irrepentis qui dorment et digèrent bien ; quand le coupable est gras, prospère, enrichi par le miracle économique, le pardon est une sinistre plaisanterie. Le pardon n’est pas fait pour les porcs et pour leurs truies. Avant qu’il en soit question, il faudrait d’abord que le coupable, au lieu de contester, se reconnaisse coupable, sans plaidoyers ni circonstances atténuantes, et surtout sans accuser ses propres victimes. »
Et l’on pourra lire L’Imprescriptible (2 textes réunis : Pardonner ? 1971 ; Dans l’honneur et la dignité, 1948, Ed. du Seuil, Poche – Essais)
LE RUBAN ROUGE
Lucy ADLINGTON
PKJ, 356 pages
Dans sa postface, l’auteure indique très clairement ses objectifs : en choisissant de ne nommer aucun pays, aucun peuple, aucun régime politique, elle a voulu donner une portée universelle à cette histoire, laquelle lui a été inspirée par la vie du camp d’Auschwitz-Birkenau.
La jeune Ella, âgée de quatorze ans, arrivée à Auschwitz vers 1944, a très vite compris qu’il lui faudrait se battre pour rester en vie. La chance veut qu’elle trouve une place dans l’atelier de couture créé pour Madame H(öss). C’est là qu’elle va devoir montrer ce qu’elle sait faire, parmi d’autres jeunes filles moins douées qu’elle. C’est aussi là qu’elle va se faire une amie pour la vie, prénommée Lily.
La lucidité d’Ella, son agressivité et son combat pour la survie, sont apaisés par le point de vue de Lily, une rêveuse pacifique qui s’échappe de la réalité pour accepter son sort.
La vision que donne l’auteure de la vie du camp est très édulcorée. La vérité transparaît comme fugitivement au travers de phrases rapides, comme dite en passant. Ella sait, mais elle ne pense qu’à survivre. C’est si vrai qu’elle n’est nullement choquée de créer des robes splendides pour Mme H Elle se permet d’y prendre du plaisir.
A travers l’analyse psychologique de chacun des personnages, Lucy Adlington présente toute la diversité de la nature humaine, de la pire jusqu’à la meilleure, sans juger.
L’intrigue est bien ficelée et les lectrices ado l’ont appréciée. La question est de savoir ce qu’elles en ont tiré.
Personnellement, j’éprouve une gêne liée au non-dit de ce roman : en plaçant cette histoire dans un non-lieu, parmi des bourreaux non-nommés, pas plus que les victimes, l’auteure passe à côté d’un fait historique crucial : l’anéantissement du monde juif européen.
LA COULEUR DE L’EAU
James McBRIDE
Gallmeister, 267 pages
« Pourquoi n’avons-nous pas la même couleur de peau toi et moi ? », demande l’auteur à sa mère. Et celle-ci de lui répondre : « quelle est la couleur de l’eau ? »
Ce récit à deux voix est autobiographique : il raconte comment une toute jeune fille juive, issue d’un milieu orthodoxe, se marie avec un pasteur noir. Nous sommes en Amérique, après la guerre. En ce temps-là, il ne fait pas bon être un Noir américain. Il ne fait pas bon non plus être une Blanche, mariée à un Noir. La ségrégation bat son plein, mais Ruth (Rukhl en yiddish) n’en a cure. Elle vit dans le quartier pauvre de Harlem, parmi les Afro-Américains qui ne l’aiment pas ? Et alors ?
Elle a quatre enfants à nourrir ; ils sont dans la misère, mais, rejetée par sa propre famille juive raciste, elle essuie un refus en demandant de l’aide. Dès lors, elle ne les reverra jamais plus. Sa mère, maltraitée par son rabbin de père, lui manque pourtant. Ruth aura douze enfants, se remariant deux fois, élevant ses enfants dans la foi chrétienne. Elle ne répond pas aux interrogations de ses enfants mais James finira par reconstituer le puzzle. Lorsqu’il se demande en quoi il est juif, il connaît la réponse : ce qui reste de la judéité de sa mère, c’est cette volonté forcenée d’assurer une éducation d’excellence à ses enfants.
A cet égard, la postface est éloquente : citant ses frères et sœurs, James les présente avec, pour tous, des diplômes universitaires !
Roman très attachant, parfois bouleversant. Ruth est un sacré bout de bonne femme, pleine de courage, de bon sens et d’un amour infini pour ses enfants.
Et toujours disponible la sélection de septembre – octobre
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QUAND TU ÉCOUTERAS CETTE CHANSON
Lola LAFON
Stock, 348 pages
Pour la collection Ma nuit au musée, Lola Lafon a choisi de passer une nuit dans l’Annexe du musée Anne Frank d’Amsterdam, où vécut recluse avec sa famille pendant deux ans l’adolescente, jusqu’à la déportation et la mort à Bergen-Belsen.
A qui appartient Anne Frank? se demande Lola Lafon. Que peut-on apprendre encore sur “la jeune fille juive la plus aimée au monde” et sur son célèbre Journal (le livre le plus lu après la Bible, dit-on), dans ce lieu de vide et d’absence?
L’auteure découvre combien la personnalité affirmée, terriblement lucide d’Anne Frank a été lissée et détournée par Hollywood : pas de fin triste, pas d’évocation des Juifs et de l’extermination, pas de mention des nazis au motif de la réconciliation avec l’Allemagne.
Avec subtilité, sensibilité et rigueur, sans jamais se substituer à Anne Frank, Lola Lafon raconte cette expérience très forte, mais aussi les résonances avec l’histoire de sa famille et avec sa propre judéité.
Et l’on se propose de relire le Journal dans sa nouvelle édition augmentée (Calmann-Lévy et Livre de poche).
LA PESTE SUR VOS DEUX FAMILLES
Robert Littell
Flammarion, 298 pages
Ce roman parfaitement documenté raconte l’un des épisodes de la guerre entre les gangs russes, lesquels dirigent de fait l’économie du pays. Les deux chefs de gangs sont vieux, et sur le point de laisser la place à d’autres rapaces. Timour l’Ossète « protège » des entreprises convoitées par Nahum Caplan le juif.
Or, Timour dit le Boiteux a un fils, Roman, tandis que Nahum a une fille. Chacun des enfants veut se rebeller contre son père …
Un roman savoureux sur les pratiques des gangs russes, encore d’actualité aujourd’hui.
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LES RESISTANTES
Judy BATALION
Les Arènes, 542 pages
Préface d’Annette WIEVIORKA
Cet ouvrage retrace les histoires captivantes et bouleversantes d’une vingtaine de très jeunes femmes – « des Juives fortes », dit l’auteure dans sa préface – qui choisirent la lutte armée dans les ghettos plutôt que la fuite.
A Bedzin, Cracovie, Vilnius, Varsovie, Radom, Auschwitz… Zivia Lubetkin (seule femme membre de l’Organisation juive de combat), Frumka, Hantze, Chajka, Renia, Tosia, Gusta, Hannah et tant d’autres combattantes engagées dans des mouvements sionistes, marxistes, bundistes, furent actives dans les caches, les souterrains, les trains, les forêts, les prisons, avec un courage inouï.
Ce projet historique et littéraire qui redonne vie à des héroïnes oubliées pour la plupart, celles qui ont péri et les quelques-unes qui ont survécu, s’appuie sur une importante documentation : recherches dans les centres d’archives de divers pays, autobiographies de rescapés, témoignages oraux.
L’auteure, petite-fille de survivants, a eu à cœur de restituer minutieusement la mémoire de cette histoire de bravoure exceptionnelle, d’amitié féminine et de survie.
Amour, mariage, sexualité : une histoire intime du nazisme (1930-1950)
Elissa Mailänder
éd. Du Seuil, 507p. (contenant un très gros corpus de notes)
Cet essai très novateur est remarquable à plus d’un titre :
Par sa forme, pour commencer : en effet, chaque chapitre commence par des exemples tirés de la vie quotidienne, basés sur des témoignages. C’est en analysant finement la parole des témoins que l’auteure nous amène à la conclusion qui clôt chaque chapitre. Cela facilite grandement le « travail » du lecteur.
Par la clairvoyance et la clarté des démonstrations :
Divisé en trois parties présentées dans l’ordre chronologique, l’essai nous permet de suivre l’implantation à la fois organisée et souple du nazisme dans les esprits :
Le nazisme se présente d’abord comme une organisation novatrice, surtout aux yeux de la jeunesse : plus de pression religieuse, il faut profiter de la vie sexuelle sans contrainte. Les jeunes « peuvent « adhérer à des organisations dans lesquelles ils se sentent intégrés, où ils vont lier des liens d’amitié qui perdureront à la fin de la guerre, se trouvant tout naturellement leur voie future vers une nouvelle vie. Ces relations entre les deux sexes seront d’autant plus libres que le divorce pour tous sera instauré. Les conventions bourgeoises ne sont plus de mise : il faut profiter de la vie. Bien entendu, toute cette jeunesse ne perçoit pas les implications politiques profondes, ni les contraintes, ni le formatage des esprits induits par ces aspects nouveaux. Même le Lebensborn est idéalisé, alors même qu’il représente l’asservissement des femmes.
Lorsque la guerre éclate, que les jeunes gens font leur sac, les jeunes filles continuent de vivre « normalement », en rêvant du « bel aviateur » qui les éveillera à l’amour. La cohésion du corps social est alors très forte, l’espoir d’une victoire martelé à coup de propagande, surtout au cinéma, devenu très populaire.
Sur le front, les soldats s’habituent aux massacres en série, allant jusqu’à prendre des photographies les mettant en scène. Ces photographies représentent « un médium de masse » (page 266) dont l’exploitation est révélatrice des mentalités : la morale n’y a plus sa place ; c’est la violence proclamée dans toute son horreur. Les femmes sont en outre devenues des « objets » sexuels et non plus des partenaires.
Avec la fin de la guerre entrent en scène de nouveaux acteurs : les troupes victorieuses. Ces nouveaux soldats détrônent rapidement les soldats humiliés du Reich. Des femmes allemandes longtemps frustrées succomberont rapidement, par intérêt bien compris ou par instinct de survie. L’auteure note cependant que l’esprit patriarcal de domination masculine n’a jamais cessé d’exister.
Au bout du compte, l’on comprend mieux pourquoi cette période représente un souvenir heureux pour une bonne part de la population allemande, bien loin des remords auxquels nous aurions pu nous attendre.
Documentaire un peu long mais passionnant.
RETOUR RUE KROCHMALNA
Isaac Bashevis SINGER
Stock, 297 pages
Un texte inédit, paru en feuilleton en 1972 dans le journal yiddish Forverts, traduit de la version anglaise, selon la volonté de l’auteur pour la plupart de ses livres.
Max, qui a fait fortune en Argentine, revient dans sa ville natale pour « affaires » : venir chercher à Varsovie une demi-douzaine de vierges pour la prostitution à Buenos Aires, sa femme Flora contrôlant la « marchandise ».
Au travers de ses personnages, I.B. Singer retourne dans la Varsovie juive du début du XXe siècle, celle des ruelles sombres, des tavernes, des truands et des rabbins, des jeunes filles innocentes et des maîtresses rouées.
On retrouve les grands thèmes traversant son œuvre : les aspirations vers le pur et l’impur, les tourments métaphysiques et charnels, le désintéressement et l’âpreté au gain, la fascination pour le trio amoureux, la culpabilité, la tentation constante de la fuite, le jeu avec l’idée de la mort, l’injustice divine (« Si dieu est mauvais, pourquoi ne puis-je pas l’être aussi ?» dit Max). La nostalgie des valeurs ancestrales de justice et d’entraide du judaïsme le dispute aux conduites égoïstes du profit individuel.
Le conteur éblouissant séduit de nouveau dans ce livre par son style vif, plein d’ironie, ses intrigues à rebondissements, ses dialogues brillants comme sortis du théâtre yiddish. Singer reste un maître dans ce roman plein de fantaisie où le drolatique côtoie la noirceur.
On peut cependant ressentir un certain malaise à la description de héros obsédés par l’argent, prêts à divers trafics et lâchetés pour retirer davantage de jouissance matérielle et sexuelle – portraits hauts en couleurs mais faisant écho aux stéréotypes antisémites. Et le thème récurrent de l’homme mûr dévoyant de très jeunes filles, telle la douce Rashka, de l’homme frappant sa femme qui en « redemande », comme Max, du viol et de la prostitution, prend de nos jours une tonalité particulière, assez déplaisante, même si l’on s’efforce de remettre dans le contexte de l’époque et dans le cadre de la fiction, et si l’on connaît l’humour de l’auteur.
EST et OUEST. DERACINES
Wolf WIEVIORKA
Editions BIBLIOTHEQUE MEDEM, 345 pages
Traduction du yiddish par Batia Baum (premier recueil) et Shmuel BUNIM (second recueil)
Ces nouvelles écrites en 1936-37 se déroulent pour la plupart à Paris entre les deux guerres, dans un monde yiddish en plein éclatement tant à l’Est qu’en Europe.
Les héros en sont des immigrés juifs de Pologne, et on y trouve toute une galerie de jeunes gens sans métier, de pique-assiette, de camarades joyeusement désoeuvrés ou de rêveurs douloureusement solitaires. Dans cet “Entre deux mondes” (titre de la première nouvelle), on croise des parvenus et des ratés, des artistes affamés, des utopistes, des jeunes femmes idéalistes ou rouées. Chacun tente de se faire une place, de vivre ou survivre, entre espoirs et illusions.
La justesse du trait, la simplicité et l’humour rendent ces textes très attachants; les personnages hâbleurs ou désemparés qui traversent cet univers nous touchent.
Et l’on songe au destin de l’auteur, écrivain et journaliste si talentueux, mort à Auschwitz, qui figure dans le Livre du Souvenir – le yisker-bukh – des “14 Ecrivains juifs parisiens assassinés“, paru en yiddish en 1946.
LIBRES D’OBEIR. LE MANAGEMENT, DU NAZISME A AUJOURD’HUI
Johann CHAPOUTOT
Gallimard, 172 pages
En huit courts chapitres, l’historien retrace le parcours du général SS Reinhard Höhn, archétype de l’intellectuel au service du IIIème Reich qui, après 5 ans de paisible clandestinité, bénéficia de la loi d’amnistie en 1949 et poursuivit une brillante carrière en Allemagne. L’ancien juriste, devenu théoricien du management, créa une école de commerce, académie de cadres qui va former pendant 20 ans l’élite des patrons de l’économie allemande.
La thèse de Chapoutot est que cette méthode d’organisation du travail et de gestion des hommes prend sa source dans les vues développées par le IIIème Reich, fondées sur le racisme biologique et le darwinisme social.
Cette réflexion de J. Chapoutot sur le lien entre nazisme et management au XXème siècle n’a pas paru totalement convaincante à certains économistes et sociologues. Toutefois, cette étude du “cas” Höhn a le mérite d’attirer l’attention sur l’impunité qui fut celle de milliers de “cols blancs” du nazisme. Elle souligne également, considération politique importante pour l’auteur, que le règne du management n’est pas neutre.
LA LOI DU SANG
Johann Chapoutot
Galllimard, 554 pages
Fin spécialiste de l’Allemagne nazie, Johann Chapoutot nous invite à aborder la problématique du nazisme en nous plongeant dans les racines profondes de l’histoire des idées et des mentalités du début du 20e siècle.
La plupart des théories scientifiques, historiques, juridiques élaborées par les nazis étaient déjà présentes sur le territoire européen : notion de race, mythe aryen, racisme, antisémitisme, etc… C’est en nous présentant une histoire complète des idées que l’auteur fait une synthèse brillante.
C’est presque de façon toute naturelle que les Allemands ont abouti à la conclusion que la pureté de la race était en danger ; que le seul moyen de la préserver était la pureté du sang allemand. Toute la nuance est nichée dans ce « presque ». Cette « loi du sang » n’a rien perdu de sa dangerosité.
Ne présentant pas de difficulté particulière, cet ouvrage de référence remarquable vous demandera une attention soutenue.
Il a obtenu le prix Yad Vashem.
LA PLACE DU ROMAN POLICIER DANS LA BIBLIOTHEQUE DU CENTRE MEDEM
Les quelques 350 titres de roman policier présents dans notre bibliothèque occupent une place à part pour deux raisons principales :
La première : de la même façon qu’il existe un lectorat amateur de bande dessinée et rien d’autre, il existe aussi un vaste lectorat de roman policier, roman noir, thriller, roman d’espionnage,… Nous avons souhaité faciliter la recherche pour ces lecteurs, en signalant les polars par une pastille noire et en les regroupant.
La seconde : il y a quelques années de cela, nous avons exploré ce ” genre ” au travers d’une exposition intitulée ” Du rififi au yiddishland “. L’objectif était de donner plus de visibilité à un genre souvent décrié, voire méprisé, lequel ne le mérite pas. Il n’y a pas de hiérarchie de valeur dès lors qu’un ouvrage de fiction est bien écrit. Pas plus qu’il n’y a pas de hiérarchie de contenu : certains polars nous décrivent les maux de notre temps, les difficultés à vivre, les révoltes des « petits », les relations familiales, la cupidité, la lâcheté, que sais-je encore, avec beaucoup plus d’acuité que ne le ferait un roman de 500 pages.
“Quel rapport avec le monde juif”, direz-vous: les juifs figurent en bonne place dans ce genre: coupables aussi bien que victimes ou redresseurs de tort; hommes et femmes confondus. Le polar nous donne à voir un monde juif sous toutes ses facettes: religieuses, sociale, culturelle. Comme un instantané pris à un moment donné. Ces personnages qui nous représentent vivent, aiment, enquêtent, tuent et mènent leur vie juive qui ressemble en tout point… à la nôtre. Ils sont notre miroir.
C’est pourquoi ce rayon est régulièrement garni de nouveautés.
Nous encourageons nos lecteurs à venir le découvrir.
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