Livres de la rentrée sept – oct 2021

HENRY KISSINGER, l’Européen,

Jérémie Gallon

Gallimard, 244 pages

On pourrait se demander ce qu’un livre sur Kissinger le républicain vient faire au centre Medem. C’est que l’auteur, lui-même centré sur la politique étrangère européenne nous montre dans cet ouvrage passionnant ce que l’Europe peut tirer comme leçon de la pensée de Kissinger.

Cette biographie précise très bien documentée est conduite de main de maître. La troublante personnalité de Kissinger, sa remarquable intelligence nourrie à des sources européennes aussi bien qu’américaines, sa vision à long terme, très pessimiste au demeurant, sa ruse en ont fait une personnalité irremplaçable dans son rôle de secrétaire d’état aux affaires étrangères. Durant les quelques huit années du règne de Nixon, il en a été le fidèle conseiller, envers et contre tout. Nixon l’antisémite ne pouvait se passer de lui ; Kissinger, certain du rôle historique qu’il avait à jouer a accepté toutes les avanies de son maître.

L’avidité du pouvoir, le besoin de reconnaissance, de célébrité, n’en font pas un personnage toujours sympathique, loin de là. Mais Jérémie Gallon montre aussi que Kissinger savait tirer des leçons de ses mentors, à commencer par Metternich. La Realpolitik, ce fut lui.

La conclusion de l’auteur est très intéressante pour nous, faibles Européens.

Une biographie exceptionnelle en tous points;

VIVRE AVEC LES MORTS

Delphine Horvilleur

Grasset, 234 pages

Pas de leçon, pas de conseil dans ce court ouvrage facile à lire. C’est une sorte de dialogue que l’auteur engage avec le lecteur.

On sent que Delphine Horvilleur prend beaucoup de plaisir à écrire et qu’elle nous réserve encore d’autres bonnes surprises.

Son art de la formule est très plaisant et souvent proche de la poésie.

Un plaisir de lecture.

DE SANG ET D’ENCRE

Rachel Kadish

Cherche-Midi et Pocket, 954 pages

N’ayez pas peur du nombre de pages : ce roman se lit comme un polar à suspense.

L’intrigue se présente comme une double hélice. Une professeure universitaire, Helen Watt, est contactée pour examiner un recueil de textes datant du 17e siècle, découverts dans un cagibi. L’université consent à lui adjoindre Aaron Lévy, doctorant de son état. Leur relation est difficile mais ils sont forcés de s’entendre, car ces manuscrits doivent prochainement être vendus.

C’est le contenu inattendu de ces manuscrits qui constitue la deuxième intrigue : où l’on voit une jeune fille séfarade, Ester, adoptée par un rabbin érudit venu d’Amsterdam, se passionner pour l’étude et la recherche. Nous sommes au 17e siècle, les femmes juives ne sont pas autorisées à s’adonner à ce type d’activité.

Entre ces deux intrigues se tissent des liens au fil des pages dans la mesure où le texte ancien entre en résonance avec ce que vivent les deux chercheurs.

Ce roman très documenté nous permet de découvrir un siècle extrêmement riche du point de vue de l’histoire des idées. C’est tout l’intérêt de ce livre. N’oublions pas que l’athéisme fait son apparition, que Spinoza dialogue avec Hobbes, que Descartes est son modèle, etc…. Ester de son côté veut être une femme libre, même si elle écrit sous un pseudonyme masculin . Nous avons là un condensé de l’histoire sociale des juifs de Londres au 17e siècle.

Roman d’une très grande richesse.

LA RACE DES ORPHELINS 

Oscar Lalo

Belfond, 279 pages

Ce cri de douleur, cet inlassable questionnement, est poussé par une femme de 76ans. Née coupable d’avoir vu le jour dans un « Lebensborn ». Quasi illettrée, elle fait appel à un scribe afin de témoigner. Hildegard Müller est le nom qu’elle s’est vu attribuer ; qui sont ses parents ? quelle est son enfance ? Née coupable, elle se considère « fille » de Hitler. Ce poids qui pèse sur sa vie, elle ne peut s’en défaire. Les recherches pour connaître sa mère mènent en Norvège. Mais cela n’ôte rien à la haine dont elle est victime ; cette haine qu’elle « sent comme un chien »….

Texte difficile à lire en raison de l’empathie qui nous saisit, face à cette victime de l’Histoire.

DIBBOUKS

Irène Kaufer

L’Antilope, 223 pages

Ce récit déroutant met en scène l’auteure, partie sur les traces d’êtres humains dont les noms sont tabous dans sa famille. Ces malheureux qui n’ont pas de tombe la hantent depuis qu’elle est petite. Comment partir à leur recherche ? Sur les conseils d’une « psychorabbine », elle part afin de se débarrasser une bonne fois pour toute de ses dibbouks.

Tout en racontant son périple et sans se soucier de l’aspect affabulateur, Irène Kauffer pose une regard ironique et pas toujours tendre sur sa famille, sur la rabbine et sur elle-même. Si bien que l’atroce côtoie le rire.

Ne cherchez surtout pas à saisir le fil d’Ariane : il n’y en a pas.

LES ABEILLES D’HIVER

Norbert Scheuer

Actes Sud,  356 pages

Ce roman inclassable raconte la vie d’un apiculteur allemand, Egidius Arimond, dans les années 1943-44. Il habite dans un village proche de la frontière belge, en essayant de subsister comme il le peut : démis de ses fonctions de professeur de latin et d’histoire, en butte à l’hostilité des villageois, il sert aussi de passeur à des juifs fuyant l’Allemagne. Il est jeune mais n’a pas été enrôlé dans l’armée en raison de ses crises d’épilepsie. Ces crises risquent du reste de le mener directement dans un centre de mise à mort des handicapés. Cela ne l’empêche nullement de courir après les jeunes femmes esseulées dont les maris sont au front. Voilà pour l’intrigue.

Sur cette histoire viennent se greffer des remarques, des textes parfois poétiques de deux ordres : d’une part sur la vie des abeilles que nous apprenons à connaître dans les moindres détails ; d’autre part sur l’un de ses ancêtres, Ambrosius Arimond, lequel aurait été le premier apiculteur de la famille, installé en l’an de grâce 1492. Egidius a entrepris de traduire des fragments de texte de son supposé ancêtre, relatifs à la vie de son temps. Sans perdre le fil, nous naviguons dans le journal d’Egidius sans savoir s’il va survivre. Il va ainsi son bonhomme de chemin, attentif à tous les dangers, jusqu’à la page finale.

Livre original bien écrit et traduit.

MONSIEUR ROMAIN GARY

Kerwin Spire

Gallimard, 324 pages

Le titre exact du livre comporte la mention suivante : « Consul général de France, 1919 Outpost Drive Los Angeles28, California ». De fait, l’auteur a mené une enquête très poussée sur la vie de Romain Gary à Los Angeles, en tant que Consul général de France. La note que son supérieur hiérarchique lui a attribuée est de 18/20. En effet, Romain Gary a accompli un travail remarquable pour redorer le blason de la République française auprès des Américains. Compagnon de la Libération auréolé de gloire, son amour inconditionnel pour la France (et pour le Général de Gaulle) a fait merveille. Il a travaillé sans relâche, côtoyant tous les milieux « qui comptent », y compris celui du cinéma. Son élégance, sa distinction, son sens politique ont fait l’admiration de tous.

Mais il y a plus : durant toute cette époque, il a beaucoup écrit, obtenant le prix Goncourt pour son roman « Les racines du ciel ». Ce livre a eu un immense succès aux Etats-Unis. (John Ford sera engagé pour en tirer un film).

Kerwin Spire précise dans une note qu’il ne s’agit pas d’une véritable biographie.

Ce livre, venant après d’autres biographies sur Gary, est très intéressant et agréable à lire, nous dévoilant une facette peu connue de Romain Gary.

Heureux comme un juif en France? : réflexions d’un rabbin engagé

Yann Boissière

Tallanddier, 156 pages

Le rabbin Boissière fait partie de ces gens de bonne volonté pour lesquels la paix et la sagesse doivent prévaloir. Cela ne l’empêche nullement de donner un avis clair sur les difficultés à vivre ensemble, en particulier au côté des musulmans de France. C’est l’un des points principaux abordés, sans naïveté ni agressivité. Certaines formules heureuses viennent montrer que tout ne va pas de soi ; qu’il est bon de revenir à la raison ; que les juifs doivent eux aussi faire la part des sentiments.

Un court essai utile, écrit dans une langue limpide.

Juifs d’ailleurs : diasporas oubliées, identités singulières

sous la dir. D’Edith Bruder

Albin Michel, 494 pages

Cet ouvrage très documenté vient combler une lacune : jusqu’à présent, il n’existait aucun livre en français recensant l’ensemble des communautés juives de par le monde. Sans prétendre à l’exhaustivité, il semble néanmoins assez complet.

Comment se présente-t-il ?

Classé en huit parties dont la dernière esquisse une vision contemporaine de ces judéités si diverses, il adopte un classement géographique (et non chronologique). Nous faisons ainsi connaissance avec les communautés juives du monde entier : juifs de l’Islam, de Russie et des pays environnants, d’Amérique latine, d’Inde, d’Afrique subsaharienne et enfin de Chine.

Pour chaque zone étudiée, une carte, un chapitre historique et ethnographique, la religion juive « indigène », et très souvent les raisons de l’émigration.

Glossaire et bibliographie indicative.

La dernière partie s’intitule « Identités et mouvement » : identités plurielles car chaque communauté a sa culture propre, son langage, ses coutumes… Comment, dans ces conditions, se faire reconnaître en tant que juif ? Comment faire son alya ?

Excellent livre documentaire de fonds.

Et toujours disponible la sélection de mai – juin

LEO FRANKEL, communard sans frontières

Julien Chuzeville

Libertalia, 276 pages

Né en Hongrie en 1844, dans une famille juive, Léo Frankel fut un des communards les plus éminents. En reconstituant son parcours depuis son arrivée en France, en s’appuyant sur une documentation précise, l’auteur dresse le portrait d’un militant hors du commun : ouvrier orfèvre totalement dévoué à la cause ouvrière, adhérent de l’Association internationale des Travailleurs, il sera rapidement reconnu par ses pairs. Sa situation d’étranger ne l’empêchera pas d’être élu à différents postes durant la Commune de Paris dès l’âge de 27 ans. Il fera preuve d’une très vive intelligence, d’une grande compréhension des problèmes rencontrés par la « base ». Fin diplomate, orateur convaincant, il sera membre du groupe de Marx et Engels avec lesquels il aura de nombreux échanges d’idées. Lorsque la Commune sera minée par des dissensions, il ne participera pas aux querelles.

Entre 1871 et 1896, date de sa mort, il travaillera dans plusieurs pays d’Europe en internationaliste convaincu. C’est la tuberculose qui aura raison de lui.

Nous aurions aimé en savoir un peu plus sur ses origines, sa famille, sa vie privée… c’est ce qui manque à cet ouvrage pr ailleurs très intéressant.

Trois anneaux : Un conte d’exils

Daniel Mendelsohn

Flammarion, 192 pages

Dans ce récit aux mille tours, Daniel Mendelsohn explore les correspondances mystérieuses entre le hasard qui régit nos existences et l’art des récits que nous en formons.

Trois anneaux commence par raconter l’histoire de trois écrivains en exil qui se sont tournés vers les classiques du passé pour créer leurs propres chefs-d’oeuvre. Erich Auerbach, le philologue juif qui fuit l’Allemagne nazie pour écrire sa grande étude de la littérature européenne, Mimésis, à Istanbul. François Fénelon, l’évêque du XVIIe siècle, auteur d’une merveilleuse suite de l’Odyssée,

Les Aventures de Télémaque, best-seller de son époque, qui lui valut le bannissement. Et l’écrivain allemand W.G. Sebald, qui s’exila en Angleterre, et dont les récits si singuliers explorent les thèmes du déplacement et de la nostalgie.

À ce conte d’exils, Daniel Mendelsohn ajoute sa propre voix, entrelaçant l’histoire de la crise qu’il traversa entre l’écriture de la grande fresque mémorielle des Disparus et celle du récit intimiste d’Une Odyssée.

L’« art poétique » qui en résulte est un hommage aux mondes grecs et juifs, un trait d’union entre Orient et Occident et une ode à la littérature française.

À travers l’étude d’un procédé caractéristique de la littérature homérique (le récit circulaire et ses boucles narratives), Trois anneaux retrace aussi avec brio une autre histoire de la littérature, qui relie Homère, Fénelon, Proust et Sebald, création et commentaire, imagination et esprit critique.

On retrouve ici l’immense érudition de l’auteur qui nous fait découvrir les liens qui unissent à travers les siècles des écrivains si différents. Ce livre s’adresse à un lecteur averti ; si l’on n’a pas lu « Les disparus » et « Une Odyssée », ce livre devrait donner envie de le faire .

Division avenue

Goldie Goldbloom

Christian Bourgeois, 360 pages

Traduit de l’anglais ( Etats-Unis ) par Eric Chédaille .

Une plongée dans une famille Hassidique d’aujourd’hui  à New-York ou l’on découvre le personnage principale,

Surie, mère de dix enfants , en proie à un terrible secret auquel va s’ajouter le souvenir de son fils Lipa  qu’elle a perdu, alors qu’il avait la vingtaine et qui ,lui aussi avait gardé le silence sur une part de sa vie. Cette situation va lui suggérer un autre regard sur la vie .

L’écriture est légère malgré la problématique de la situation.

Lorsque l’on entre dans le roman, on a aussitôt le désir de découvrir la suite .

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