Les livres de mai – juin 2024
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LES TUEUSES – CES FEMMES COMPLICES DE LA CRUAUTÉ NAZIE
Minou Azoulai – Véronique Timsit
Privat, 234 pages
Nombre de femmes, à l’instar d’Ilse, Erika, Pauline, Margarete, Lina, Irma…. et tant d’autres, adhérèrent au ” parti de l’horreur et de la cruauté “.
Toutes ont été volontairement complices du régime nazi entre 1939 et 1945. Certaines, particulièrement sadiques ont tué et torturé de leurs propres mains.
Oui, les femmes aussi peuvent être des tueuses sadiques, des ” meurtrières de bureau “, sous couvert de leurs fonctions de mères idéales, infirmières zélées, surveillantes soumises, épouses parfaites…
D ’autres ont veillé au bon fonctionnement du processus d’extermination des populations.
Après la guerre, elles sont restées fidèles à leur idéologie sans jamais renier aucun de leurs actes.
Sans oublier les derniers chapitres concernant les exactions commises par les ” tueuses ” en Serbie et au Rwanda.
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RETROUVER ESTELLE MOUFFLARGE
récit-enquête de Bastien FRANÇOIS
Gallimard, 427 pages
Un peu par hasard, parce qu’il habite dans la même rue du 18e à Paris, l’auteur part sur les traces de cette fille d’émigrés juifs pauvres, précocement orpheline, morte à Auschwitz à 15 ans. Du peu d’éléments qu’il recueille – quelques lettres, une photo, des notes administratives, archives scolaires, registres de commerce, “fichiers juifs” de la police, bribes de récits familiaux -, il reconstitue l’itinéraire de la jeune déportée.
On songe d’emblée au magnifique Dora Bruder de Patrick Modiano (1997), mais la recherche d’Estelle Moufflarge s’avère différente, poignante et passionnante elle aussi.
A partir d’un destin individuel, l’auteur dans son enquête minutieuse, menée pendant 10 ans, retrace avec rigueur et sensibilité le sort des Juifs traqués, privés de ressources, soumis aux décrets changeants, arbitraires, des Allemands et de Vichy.
Bastien François situe sa recherche dans la perspective de la “micro-histoire globale”, développée il y a quelques dizaines d’années, qui mêle histoire et sociologie, à l’échelle des individus, des groupes humains, et étudie les interactions économiques, politiques, culturelles.
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16 ANS, RÉSISTANT
Robert Birenbaum
Stock, 175 pages
Le 17 juillet, le lendemain de la rafle du Vel d’Hiv, à 16 ans, Robert rejoint les rangs de la résistance par l’intermédiaire de sa tante Dora.
De 1942 à 1944, son son rôle était de recruter les résistants FTP le la MOI (Main d’Oeuvre Emigrée). Mélina et Missak Manouchian ainsi que les combattants de l’Affiche Rouge en firent partie. Triste ironie de l’Histoire, il devait intégrer ces FTP lorsque les membres de l’Affiche rouge furent pris.
Il relate toutes ces années durant lesquelles, avec d’autres jeunes, français, étrangers, juifs, communistes…., ils firent des « coups de main » contre les nazis et les collabos dans Paris et la région parisienne.
Récit émouvant, digne, que livre sans fard cet homme de plus de 97 ans et d’une mémoire époustouflante, celui d’un homme juste, généreux et humble.
Raconter. Encore et encore.
Pour que personne n’oublie jamais…
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COMMENT ÇA VA PAS ? – Conversations après le 7 octobre
Delphine HORVILLEUR
Grasset 150 pages
Depuis le massacre perpétré par le Hamas en Israël, l’auteur est en état de sidération et de douleur. Elle tente de trouver des mots au travers de dix conversations réelles ou imaginaires – avec ses grands-parents (Oy a brokh, Papi ! Quelle malédiction !), la paranoïa juive, les antiracistes, ses enfants, ceux qui font du bien, Israël, le Messie…
Avec acuité, force et subtilité, dans une langue imagée, entrelaçant l’intime et l’universel, le sacré et le prosaïque, la gravité et l’humour, elle en appelle à l’humanisme ; elle alerte contre ceux qui menacent de mettre le monde à feu et à sang, au nom de leurs croyances : les fanatiques des trois religions monothéistes. Et elle chante avec Anne Sylvestre : « J’aime les gens qui doutent » …
Seul bémol dans ce beau traité de douleur et d’espoir, sa définition du yiddish – « pas un langage structuré, mais une sorte de patois protéiforme … » On pourrait citer des dizaines d’écrivains yiddish qui n’ont pas « jargonné » : Cholem Aleikhem, I. L. Peretz, Avrom Sutzkever, H. D. Nomberg, Myriam Ulinover, Debora Vogel, B. Schlevin, les frères Singer…
Réflexion douloureuse et profonde.
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INDIGNE
Cécile CHABAUD
ECRITURE, 231 pages
Indigne, de Cécile Chabaud, est un roman inspiré de faits réels. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, un béarnais ayant réellement existé – Georges Despaux – est membre de l’antisémite Parti Populaire Français de Doriot, et rédige des « torchons fielleux et discriminatoires » dans le journal du parti, L’Assaut. Soupçonné d’avoir voulu causer la perte d’un autre membre du PPF, il est livré aux Allemands, interné dans un camp près de Compiègne en avril 1944, puis déporté à Auschwitz et à Buchenwald. A Buchenwald, il dessine les autres internés, et sauve la vie d’un de ses camarades de misère, un Juif dans le roman, Samuel Vanmolen. Le camp est libéré en avril 1945, et Despaux revient en France quelques jours plus tard. En décembre 1945, il est jugé, devant le Palais de Justice de Pau, pour intelligence avec l’ennemi, pendant la guerre, c’est-à-dire pour la période précédant l’année passée dans les camps. Dans les années 2000, le fils de celui que Despaux a sauvé – David Vanmolen- devient le dépositaire des dessins de Despaux, véritables témoignages de la vie au Camp de Buchenwald : il organise une exposition des dessins qu’il publie ensuite dans un livre.
Ce qui doit inciter à la lecture de ce livre, c’est d’abord la qualité d’écriture et la pertinence de certaines formulations bien trouvées. Ensuite, le récit est d’autant plus captivant que les brefs chapitres portent alternativement sur trois périodes distinctes: l’internement de Despaux dans les camps, son procès d’avril 1945, et les différentes démarches du galeriste David Vanmolen. Enfin, à travers ce livre, Cécile Chabaud soulève finalement des questions essentielles : parmi les collaborateurs et les collaborationnistes, lesquels jouaient un double jeu et opéraient, simultanément, pour la Résistance ? Parmi les accusateurs de l’après-guerre, combien n’avaient-ils eux-mêmes rien à se reprocher ? Des personnes qui ont peut-être changé d’avis par pur opportunisme sont-elles légitimes à juger un homme dont les convictions auraient changé au contact de la réalité des camps ? C’est ce sur quoi semble insister Cécile Chabaud en parlant de la guerre, « avec son nombre officiel de victimes et son nombre officieux de salauds », ou en qualifiant la foule, présente au Palais de Justice, de « grégaire (…) capable de lapider comme de pardonner », ainsi qu’à travers cette question posée par l’avocat de Despaux au Président du tribunal : « Et vous, cher Président, où étiez-vous en 1943 ? Pourquoi êtes-vous toujours là ? Qui avez-vous servi pendant la Guerre ? Pourquoi avez-vous toujours votre place ? ».
Autant de questions qui poussent à la réflexion.
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LA MAISON AU BORD DU CANAL – L’histoire de la maison d’Anne Frank
Thomas Harding (auteur) et Britta Teckentrup (illustratrice)
La Partie, 56 pages
Initialement publié en Allemagne, ce livre superbement illustré et destiné aux enfants, raconte chronologiquement, en quelques pages, près de 400 ans d’histoire d’une maison d’Amsterdam et de ses différents habitants, parmi lesquels Anne Frank pendant la guerre. Cette précision figure dans le sous-titre du livre, puis dans un court préambule, et à la fin, dans les deux dernières pages qui révèlent les identités de tous les habitants de cette maison (ce qui atteste ainsi de la véracité des histoires relatées).
En revanche, pour que tout enfant s’identifie à Anne Frank, nulle part, dans le corps du texte, ne sont mentionnés ni le nom d’Anne Frank, ni les mots « Juifs » ou « Nazis » : « En un jour d’été caniculaire, des policiers accompagnés d’un soldat pénétrèrent dans la maison et montèrent d’un pas lourd l’escalier dissimulé. Les hommes découvrirent la jeune fille, sa famille et leurs amis. Ils les arrêtèrent et les embarquèrent ».
Ce livre relève ainsi le défi de permettre à des enfants d’aborder, en douceur, l’histoire d’Anne Frank.
Livres recommandés en mars – avril 2024
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STUPEUR
Zeruya SHALEV
Traduit de l’hébreu par Laurence SENDROWICZ,
Gallimard, 363 pages
Au chevet de son père mourant, Atara recueille les propos confus de cet homme sévère, qui l’appelle tendrement Rachel, du nom de sa mystérieuse première épouse.
Atara retrouve la trace de cette femme de 90 ans qui vit seule dans le désert de Judée. Elle force presque sa porte et réveille chez elle un douloureux passé : la lutte armée clandestine dans le groupe sioniste le « Lehi » et la résistance contre les Anglais en 1947- 48, avant la fondation de l’Etat d’Israël. La rencontre de ces deux femmes bouleversera leur existence.
En 18 chapitres, passant en alternance d’une femme à l’autre, l’écrivaine – une des voix majeures de la littérature israélienne, qui fut grièvement blessée en 2004 dans un attentat – sonde l’âme humaine, montre combien l’histoire collective bouscule les liens privés.
Ce roman dense et puissant interroge le couple, la parentalité, la culpabilité, la religion, les silences des familles qui régissent les vies, et met en exergue les tensions et violences au coeur de la société israélienne.
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TURBULENCES
Eshkol NEVO
Traduit de l’hébreu par Jean-Luc ALLOUCHE
GALLIMARD, 336 pages
Trois histoires d’amour s’entrecroisent pour fouiller les relations humaines dans une société Israélienne mise à nue.
L’auteur a conçu son roman comme un thriller qui vous tient en haleine et vous empêche d’interrompre votre lecture.
Un couple de jeunes mariés sont en Bolivie pour leur voyage de noces et rencontre un Israélien récemment divorcé et en vacances pour quelques jours.
L’histoire pourrait s’arrêter là mais ….un coup de foudre entre la jeune mariée et le touriste va éclater et le mari va mourir sur la route de la mort .
S’est il suicidé ? l’a t on poussé ? et qui bien sûr ?
Un médecin – chef d’un hôpital de Tel Aviv veuf se sent étrangement proche d’une jeune interne de son service jusqu’à à éprouver le besoin de la protéger mais la réaction de la jeune femme sera ….a vous de la découvrir.
Un couple apparemment uni à l’habitude de se promener le samedi dans un verger mais quand l’homme entre dans le jardin pour un instant il disparaît sans laisser de traces . Nevo en profite pour disséquer le couple dans sa vie la plus intime et leurs relations complexes.
N’hésitez plus plongez vous dans ce livre écrit par un conteur exceptionnel qui offre un portrait de la société israélienne.
C’est vraisemblablement un roman parfait.
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Carol MANN
L’Originel, 187 pages
Carol Mann reconstitue l’histoire familiale et les périples des uns et des autres, de la ville polonaise de Bedzin à Strasbourg, en passant par Karlsruhe. Elle décrit la diversité de la communauté juive strasbourgeoise d’avant-guerre, où « fusaient comme autant de feux d’artifice », une multitude de langues avec le yiddish en tête et en dénominateur commun. Et le cousin germain de sa mère Rose, le mime Marceau, est le fruit de tout cela : on le découvre sous un autre jour et l’on comprend mieux son personnage de « Bip ». On apprend comment, à huit ans, il fonde sa première troupe d’enfants, et comment adolescent, en pleine guerre, il s’occupe de l’animation théâtrale dans un château où l’OSE héberge des enfants juifs de parents déportés: chargé de convoyer une trentaine d’enfants vers la Suisse, le futur mime exercera alors, « pour la première fois, ses talents de comédien silencieux, en vérité mime sans le savoir, pour distraire les enfants sans émettre le moindre bruit qui eut pu éveiller des attentions malveillantes.».
La guerre disséminera, à travers la France la famille qui n’en sortira pas indemne : arrêté, en plein hiver, dans sa boucherie de Villeurbanne, le père de Marcel Marceau sera déporté à Auschwitz.
Le silence du mime fut peut-être aussi celui de la sidération.
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FIGURES DU JOUR
1930
&
MANNEQUINS
1934
Debora VOGEL (auteur), Batia BAUM (traductrice)
Edition bilingue Français-Yiddish
La Barque, 266 pages
« Je comprends mes poèmes comme une tentative de nouveau style en poésie, je trouve en eux une analogie avec la peinture moderne », écrivit Debora Vogel, dans sa préface à Figures du jour. Ses poèmes sont effectivement des tableaux, mais peints mais avec des mots, non avec des pinceaux : couleurs et formes géométriques allégorisent ses pensées. Grande figure de l’Avant-Garde polonaise et yiddish –littéraire et artistique-, c’est âgée d’une vingtaine d’années que cette poétesse apprit le yiddish, la langue originale des poèmes contenus dans ce recueil bilingue et issus de ses deux premières publications. Son regard réaliste percevait tant les vains artifices que la monotonie froide et intemporelle du monde urbain dont elle n’était pas dupe. Paris, à laquelle elle consacra plusieurs poèmes, n’était ainsi qu’une « ville de pacotille bariolée » (« shtot fun bunt-farbikn shund »). Et elle considérait les tristesses comme « un élément décoratif de la vie ».
Au-delà de la fidélité de la traduction, Batia Baum, avec toute sa sensibilité, a parfaitement respecté la musicalité des poèmes dont l’élégante fluidité se retrouve dans les deux versions, yiddish et française.