Livres de mai – juin 2021
LEO FRANKEL, communard sans frontières
Julien Chuzeville
Libertalia, 276 pages
Né en Hongrie en 1844, dans une famille juive, Léo Frankel fut un des communards les plus éminents. En reconstituant son parcours depuis son arrivée en France, en s’appuyant sur une documentation précise, l’auteur dresse le portrait d’un militant hors du commun : ouvrier orfèvre totalement dévoué à la cause ouvrière, adhérent de l’Association internationale des Travailleurs, il sera rapidement reconnu par ses pairs. Sa situation d’étranger ne l’empêchera pas d’être élu à différents postes durant la Commune de Paris dès l’âge de 27 ans. Il fera preuve d’une très vive intelligence, d’une grande compréhension des problèmes rencontrés par la « base ». Fin diplomate, orateur convaincant, il sera membre du groupe de Marx et Engels avec lesquels il aura de nombreux échanges d’idées. Lorsque la Commune sera minée par des dissensions, il ne participera pas aux querelles.
Entre 1871 et 1896, date de sa mort, il travaillera dans plusieurs pays d’Europe en internationaliste convaincu. C’est la tuberculose qui aura raison de lui.
Nous aurions aimé en savoir un peu plus sur ses origines, sa famille, sa vie privée… c’est ce qui manque à cet ouvrage pr ailleurs très intéressant.
Trois anneaux : Un conte d’exils
Daniel Mendelsohn
Flammarion, 192 pages
Dans ce récit aux mille tours, Daniel Mendelsohn explore les correspondances mystérieuses entre le hasard qui régit nos existences et l’art des récits que nous en formons.
Trois anneaux commence par raconter l’histoire de trois écrivains en exil qui se sont tournés vers les classiques du passé pour créer leurs propres chefs-d’oeuvre. Erich Auerbach, le philologue juif qui fuit l’Allemagne nazie pour écrire sa grande étude de la littérature européenne, Mimésis, à Istanbul. François Fénelon, l’évêque du XVIIe siècle, auteur d’une merveilleuse suite de l’Odyssée,
Les Aventures de Télémaque, best-seller de son époque, qui lui valut le bannissement. Et l’écrivain allemand W.G. Sebald, qui s’exila en Angleterre, et dont les récits si singuliers explorent les thèmes du déplacement et de la nostalgie.
À ce conte d’exils, Daniel Mendelsohn ajoute sa propre voix, entrelaçant l’histoire de la crise qu’il traversa entre l’écriture de la grande fresque mémorielle des Disparus et celle du récit intimiste d’Une Odyssée.
L’« art poétique » qui en résulte est un hommage aux mondes grecs et juifs, un trait d’union entre Orient et Occident et une ode à la littérature française.
À travers l’étude d’un procédé caractéristique de la littérature homérique (le récit circulaire et ses boucles narratives), Trois anneaux retrace aussi avec brio une autre histoire de la littérature, qui relie Homère, Fénelon, Proust et Sebald, création et commentaire, imagination et esprit critique.
On retrouve ici l’immense érudition de l’auteur qui nous fait découvrir les liens qui unissent à travers les siècles des écrivains si différents. Ce livre s’adresse à un lecteur averti ; si l’on n’a pas lu « Les disparus » et « Une Odyssée », ce livre devrait donner envie de le faire .
Division avenue
Goldie Goldbloom
Christian Bourgeois, 360 pages
Traduit de l’anglais ( Etats-Unis ) par Eric Chédaille .
Une plongée dans une famille Hassidique d’aujourd’hui à New-York ou l’on découvre le personnage principale,
Surie, mère de dix enfants , en proie à un terrible secret auquel va s’ajouter le souvenir de son fils Lipa qu’elle a perdu, alors qu’il avait la vingtaine et qui ,lui aussi avait gardé le silence sur une part de sa vie. Cette situation va lui suggérer un autre regard sur la vie .
L’écriture est légère malgré la problématique de la situation.
Lorsque l’on entre dans le roman, on a aussitôt le désir de découvrir la suite .
Et toujours disponible la sélection de mars – avril
HISTOIRE DES JUIFS : UN VOYAGE EN 80 DATES DE L’ANTIQUITE A NOS JOURS
sous la dir. de Pierre Savy
PUF, 586 pages
Les nombreux historiens qui ont participé à la rédaction de cette « somme » peuvent tous faire valoir leur renommée. Tous ont su exprimé la quintescence de leur savoir : cela donne un texte synthétique et clair pour chacune des dates évoquées.
L’ouvrage est divisé en trois parties ; chacune d’entre elles sous la direction d’un.e spécialiste : Katell Berthelot pour Le Temple et l’Exil, Pierre Savy pour Du Moyen Age à l’émancipation, enfin Audrey Kichelewski pour De 1791 à nos jours.
Dans chacune des parties, les auteurs ont retenu des dates significatives dont certaines ont le mérite d’être souvent méconnues du grand public ; exemple : la première loi antisémite (hongroise) de l’Europe d’après-guerre. Si l’on se réfère aux premiers livres d’histoire des juifs, le constat est que le point de vue a changé. La prise en compte des recherches les plus récentes, des découvertes archéologiques rendent ce livre novateur, lui conférant un « langage » contemporain (ainsi en est-il de la « question khazare », par exemple). Le livre contient aussi des bibliographies, un index des noms, des lieux, des mots-clés, ainsi qu’une présentation des auteurs.
Cet ouvrage de fonds est vraiment le bienvenu.
QUITTER PSAGOT
Yonatan Berg
L’Antilope, 253 pages
Psagot est une petite colonie sauvage implantée à la limite de Ramallah. C’est là que Yonatan Berg a passé sa jeunesse, avant de partir faire son service militaire. Devenu écrivain après avoir un peu bourlingué dans le monde, il nous livre ses réflexions sur le choc qu’il a éprouvé en quittant le monde chaleureux mais factice de sa jeunesse.
Dans Psagot, il n’y a pas de place pour le doute. Profondément religieuse, cette petite enclave entourée de fils de fer barbelés vit repliée sur soi. Pas tout à fait puisque l’armée veille sur elle. Les enfants y vivent heureux et sereins, leurs journées strictement organisées, avec un encadrement rigoureux. Aucun colon, petit ou grand, ne regarde du côté des Palestiniens. Au point que Yonatan ne découvre le camp de réfugiés qui jouxte Ramallah que longtemps après être parti. Sa première expérience du monde extérieur, c’est le lycée, à Jérusalem. Puis il part ; d’abord à l’armée, puis à la découverte du reste du monde. Progressivement, il remet en question sa vision idyllique de l’enfance, en découvrant d’autres points de vue, d’autres modes de vie.
Il ne s’agit nullement d’un pamphlet, contrairement à ce qu’écrit le Time Israël. Pas de dénonciation, pas d’acrimonie non plus. Plutôt un constat mélancolique : les colonies ne règleront rien. Elles survivent en dehors de la réalité, ne subsistant qu’avec la complicité de l’état. Il faudra bien que l’aveuglement cesse.
Très émouvant, ce récit décrit la situation insoluble actuelle avec beaucoup de sensibilité. Excellent
Août 61
Sarah Cohen-Scali
Albin Michel, 480 pages
Ben, atteint Alzheimer reconnaît difficilement ses proches.
Il va se retourner sur son passé douloureux dans l’Allemagne en guerre, celle de l’après-guerre, puis sur sa vie en Angleterre et en France dans les années 50.
Il n’a jamais oublié Tuva, son amour d’enfance, née dans un lebensborn et qu’il revoit Berlin en 1961 alors que la RDA commence à construire “Le” mur…
LES PATRIOTES
Sana Krasikov
Albin Michel, 594 pages
Analyses de deux lectrices de ce livre
Ida
Ce premier roman touffu retrace l’histoire de ces Américains qui ont émigré en Union Soviétique par idéalisme, dans les années 1930.
Le principal personnage, Florence, rejoint Magnitogorsk en 1934, pour une raison qu’elle se refuse d’avouer : sans l’avertir, elle veut rejoindre un certain Serguéi dont elle a fait la connaissance à Cleveland. Celui-ci faisait partie d’une délégation commerciale russe. Si nous faisons allusion à cet aveuglement, c’est que ce trait de caractère a une grande importance dans l’histoire ô combien tourmentée de son existence. Florence devra sans cesse trouver de bonnes raisons de rester vivre en URSS. En fin de compte, le seul moment où elle se sentira en sécurité, c’est lorsqu’elle sera nommée femme de ménage !
D’autres juifs de son entourage sont plus lucides. A commencer par son mari. Entre 1930 et 1952, la situation des juifs empire considérablement : le comité juif antifasciste créé par Staline pour obtenir l’aide américaine est décimé dès la fin de la guerre. La venue de Golda Meyerson lors de la création de l’état d’Israël donne lieu à des arrestations qui n’étonnent personne.
L’étau se resserre sur Flora et sa famille ; la vie de son fils lui important plus que tout, elle commet l’irréparable, avec une mauvaise foi terrifiante. Nous n’en dirons pas plus. Les « refuzniks », comme on le sait, finiront par obtenir la liberté.
Impossible à résumer tant l’histoire est foisonnante, elle nous laisse un goût amer. Tous ces émigrés pleins d’idéal ont payé très cher leur « aveuglement ». Ils ont voulu y croire, envers et contre tout et beaucoup y ont laissé leur vie.
Nous sommes en 2021. Ce roman, cette somme, devrait-on dire, sommes-nous encore capables de bien le comprendre ? Intéressant et émouvant.
Yaël
Ce premier roman touffu retrace l’histoire des Juifs américains qui sont partis par idéalisme en Russie après la révolution d’Octobre.
Ce qui est intéressant dans le livre c’est qu’à travers trois générations de personnages il révèle des aspects sur l’histoire des Juifs d’Union soviétique (théâtre juif, comité antifasciste), sur la relation entre Staline et Roosevelt et sur l’attitude ambigu de celui-ci vis-à-vis des Soviétiques.
Le livre est alimenté par les évènements historiques et sur l’abondante bibliographie citée en fin d’ouvrage.
Ce livre a une construction littéraire sur une énigme qu’on a de cesse de découvrir.
Les histoires qui se mêlent en flash-back donnent un rythme au livre et un plaisir au lecteur.
Ce roman débuté au début du 20ème siècle se poursuit jusqu’à nos jours et intéresse les nouvelles couches de lecteurs car les plus jeunes peuvent se reconnaitre dans les personnages de la dernière génération. Il y a deux clés de lecture qui satisfont deux lectorats, un trentenaire et la génération plus âgée et son histoire personnelle. Tout le monde y trouve son compte. C’est passionnant et instructif.
Nos sélections récentes
Et aussi les plus anciennes sélections de la bibliothèque