Iran
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Attendue depuis plusieurs mois, la publication du rapport de la communauté américaine du renseignement sur le programme nucléaire iranien est, si l’on ose dire, une petite bombe, dont les effets politiques et diplomatiques vont être considérables. Mais ce rapport est en fait beaucoup plus inquiétant qu’il n’y paraît.
D’abord, deux bonnes nouvelles.
La première est que la communauté américaine du renseignement vient de faire la preuve de son indépendance : dire d’emblée que les activités militaires de l’Iran ont été interrompues fin 2003 ne va pas exactement plaire aux faucons de l’administration Bush, et en particulier au vice-président Cheney…
La seconde est que, de l’avis des espions américains, la stratégie de pression internationale est utile et fonctionne bien, puisque c’est elle qui aurait conduit à cette décision iranienne de 2003.
Malheureusement, le rapport ne s’arrête pas là, et nous dit ensuite beaucoup de choses inquiétantes.
Plusieurs points méritent d’être soulignés.
Premièrement, l’existence d’un programme parallèle, à vocation strictement militaire, depuis le milieu des années 1980, est confirmée pour la première fois.
Deuxièmement, personne ne sait si ce programme demeure suspendu ou s’il a repris : en effet, le rapport ne s’engage pas sur ce qu’il en est advenu après juin 2007, et dit par ailleurs que deux agences de renseignement ont des doutes sur l’arrêt complet de toute activité à visée militaire.
Troisièmement, l’on apprend, et c’est une vraie surprise pour tous les experts du dossier, que Téhéran aurait importé de l’étranger de la matière fissile de qualité militaire, sans que l’on sache ce que l’Iran a pu faire de cette matière fissile…
Quatrièmement, les spécialistes américains nous disent clairement qu’au minimum Téhéran veut maintenir une “option nucléaire”, c’est-à-dire se garder la possibilité à tout moment de faire une bombe atomique.
Cinquièmement enfin, la communauté américaine du renseignement est devenue un peu plus pessimiste sur le temps qu’il faudrait à l’Iran pour produire dans ses propres installations suffisamment d’uranium hautement enrichi pour fabriquer la bombe : alors qu’elle évoquait traditionnellement la période 2010-2015, elle n’exclut pas désormais que cela puisse arriver dès 2009.
Le problème nucléaire iranien reste donc entier, et tout cela devrait conforter la communauté internationale dans sa demande réitérée de suspension des activités d’enrichissement conduites par Téhéran. Car même en admettant que les activités strictement militaires de l’Iran soient encore dormantes, il faut rappeler ici que les installations “duales” – celles qui peuvent servir soit à des fins civiles, soit à des fins militaires – continuent de fonctionner…
Dans l’usine d’enrichissement de Natanz, en effet, les centrifugeuses P1 installées sont de plus en plus nombreuses, et commencent à fonctionner en cascade. Sans compter que le mystère demeure entier sur les centrifugeuses P2, plus modernes, dont l’Iran a acheté la technologie au Pakistan, et qui sont peut-être aujourd’hui testées dans une installation secrète.
Mais, paradoxalement, le problème est subitement devenu beaucoup plus difficile à régler. Car le premier effet politique de la publication du texte américain est de réduire à néant la perspective de nouvelles sanctions unanimes par le Conseil de sécurité.
Depuis mardi soir, la Russie et la Chine font savoir qu’il est absolument hors de question, dans ces conditions, de voter une nouvelle résolution à l’ONU.
Ainsi, alors même que la communauté américaine du renseignement nous dit que les pressions internationales ont fait preuve de leur efficacité, puisqu’elles auraient poussé l’Iran à interrompre ses activités militaires, pour un temps au moins, à la fin 2003, la conséquence de la publication de son rapport est de rendre désormais beaucoup plus difficile la poursuite de ces pressions…
A n’en pas douter, on doit se réjouir à Téhéran.
Le Monde. édition du 08.12.07.
Bruno Tertrais est maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, auteur d’Iran, la prochaine guerre (Editions du Cherche Midi, 2007).