Bénazir Butto
Editorial du journal Le Monde daté du 27/12/2007. Page 2.
Benazir Bhutto a été assassinée. Elle avait accepté son destin. Perçue comme une menace par le pouvoir, comme une ennemie par les islamistes pakistanais et Al-Qaida, comme une alliée de l'Amérique, « la Sultane » savait, en revenant le 18 octobre de huit ans d'exil, qu'elle risquait sa vie. « J 'ai mis ma vie en danger et je suis rentrée parce que je sens que ce pays lui-même est en danger », a-t-elle dit à ses partisans, jeudi 27 décembre, lors d'un meeting électoral à Rawalpindi, juste avant de mourir.
Le soir de son retour au pays, déjà, un attentat avait failli lui coûter la vie, cette fois à Karachi. Benazir Bhutto pouvait paraître immortelle, mais elle était fataliste, et savait qu'elle était une cible pour les déstabilisateurs du Pakistan. Son assassinat a eu lieu à deux semaines d'élections législatives à l'issue incertaine, qui pouvaient autant faire basculer le pays dans la violence que sceller un nouveau pacte politique et faire d'elle un premier ministre pour la troisième fois de sa vie. Il illustre cette réalité : le Pakistan est une ligne de front.
Le « Pays des purs », détenteur de l'arme atomique et nid d'Al-Qaida, en conflit avec l'Inde au Cachemire et jouant un jeu trouble dans les guerres d'Afghanistan, est en première ligne. Le président Pervez Musharraf, fragilisé par la talibanisation du pays, discrédité au sein de la société pour son refus de rétablir la démocratie, est lui-même un homme en danger. Les démocrates souhaitent son départ et les djihadistes veulent sa mort. L'armée et les puissants services de renseignements, qui paient parfois un lourd tribut à la lutte contre l'islamisme armé, sont paradoxalement euxmêmes minés par l'idéologie des talibans - mouvement qu'ils ont créé dans les années 1990 pour mener une guerre en Afghanistan - et par celle d'Al-Qaida.
« Ce pays lui-même est en danger », affirmait Benazir Bhutto juste avant d'être mortellement frappée. En état de guerre dans certaines provinces, instable, divisé, le Pakistan est aussi un danger pour la région, voire pour le monde. Sans pouvoir légitime, sans retour à la démocratie, sans une politique économique viable, sans une lutte politique et militaire efficace contre les djihadistes, sans une stratégie diplomatique claire en Afghanistan, le Pakistan est une menace qui va en s'accentuant au fil des ans.
La communauté internationale, notamment Washington, premier allié d'Islamabad, apparaît désarmée. Elle soutient Pervez Musharraf tout en s'en méfiant, elle craint la progression islamiste sans pouvoir l'arrêter, elle s'enlise dans la guerre afghane contre des talibans dont les sanctuaires sont au Pakistan. Aujourd'hui, il y a une urgence : définir une stratégie. L'assassinat de Benazir Bhutto doit servir de signal d'alarme.