Boycotte du salon du livre de Turin
A propos du boycotte du salon du livre de Turin
Refuser de lire un livre, boycotter un ensemble d’écrivains, marquer sa désapprobation d’une politique en pénalisant les écrivains de cet Etat, cela a-t-il un sens ? C’est la question que je pose en ces jours où une association d’écrivains arabes a lancé une campagne de boycotte du prochain salon du livre de Turin qui aura lieu à partir du 8 mai du fait que l’invité d’honneur de cette foire sont les écrivains israéliens. Le texte dit « qu’on ne peut pas célébrer un Etat qui pratique l’homicide et la destruction ». Tariq Ramadan, l’intellectuel musulman, ancien conseiller de Tony Blair, est entré dans la polémique pour affirmer qu’il est « clair qu’on ne peut rien approuver de ce qui vient d’Israël » (La Repubblica 2 février 2008).
Le Parti communiste italien a demandé d’étendre l’invitation aux écrivains Palestiniens. Le directeur du salon, Ernesto Ferrero a assuré que le salon « garantira pleine dignité à la culture palestinienne ». En dehors de ces prises de position, je refuse, quant à moi de tout confondre et tout mélanger.
Je suis en train de lire le dernier roman d’Amos Oz « Vie et mort en quatre rimes », et j’ai mis de côté celui d’Amir Gutfreund « Les gens indispensables ne meurent jamais » pour le lire aux prochaines vacances car il fait 500 pages. Si je comprends bien la logique de ceux qui lancent une campagne de boycotte du prochain salon du livre de Turin, il faudra que je jette ces deux livres et peut-être même les brûler. Pourquoi ? Parce qu’ils sont écrits par des Israéliens. Du même coup, le public israélien devrait lui aussi jeter mes livres traduits en hébreu et les condamner à l’exil. On pourrait continuer ce petit jeu et empêcher par exemple que les poèmes du palestinien Mahmoud Darwish ne rentrent pas dans les librairies et maisons israéliennes. Ce serait une guerre contre la culture d’où qu’elle vienne. Cela est contraire à l’esprit de la civilisation arabe et ne pourrait produire que des catastrophes, élever le mur de l’incompréhension, de la peur et de la haine.
Il faut bien distinguer les choses : la politique d’un État n’est pas assimilable à la production littéraire des écrivains de cet État. Je suis parmi ceux qui critiquent le plus durement la politique israélienne d’occupation et je ne confonds pas M. Olmert avec M. Oz, M. Grossman ou M. Gutfreund. Je peux aussi ne pas aimer tel ou tel ouvrage. Cela n’a rien à voir avec le pays d’origine de celui qui l’a écrit.
Boycotter le salon du livre de Turin n’a pas de sens. Un peu partout dans le monde des écrivains israéliens rencontrent des écrivains arabes et palestiniens. Leur dialogue n’est pas celui de leurs Etats. Ils discutent, peuvent même se disputer mais le boycotte est un aveu de faiblesse, une façon de généraliser le fanatisme et même de donner à l’Etat d’Israël des arguments pour se présenter non pas comme occupant des territoires palestiniens, mais comme victime.
Les Palestiniens n’ont pas besoin de cette petite guerre qui n’arrangera pas leurs espérances. Le peuple palestinien a besoin de justice, a besoin d’un Etat viable, dans des frontières sûres et reconnues. Il n’a que faire de ce boycotte au moment où des négociations ont lieu, même si elles n’aboutissent pas à des résultats satisfaisants. Il faut en finir avec ces réflexes d’un autre âge et admettre qu’il y aura deux États, côte à côte, Israël et la Palestine. Tôt ou tard, ces deux peuples parviendront à une coexistence. Ils sont tous les deux fatigués et veulent vivre dans la paix. Les attaques quasi quotidiennes des populations de Gaza sont inadmissibles, car ce sont des familles qui sont pénalisées à cause de leurs dirigeants. En tout cas ce n’est pas le boycotte du prochain salon du livre de Turin qui ouvrira le chemin de la paix et de la réconciliation. Critiquer la politique d’un État. Critiquer un roman sur le plan littéraire. Tout cela est possible. Mais surtout ne pas confondre les deux choses et susciter par là davantage d’incompréhension. Cela ne servira que les intérêts des marchands d’armes.