Le non-sens d’un boycottage

Dans ces colonnes (Le Monde du 28 février), Tariq Ramadan prétend ne pas nier l’existence de l’Etat d’Israël et ne pas appeler à sa destruction. Certes, ce n’est pas la présence d’un stand israélien au Salon du Bourget, où chaque année se pressent acheteurs d’armes de tous pays, y compris arabes, qu’il condamne, mais la présence de l’Etat hébreu, en tant qu’invité d’honneur cette année, celle de ses soixante ans d’existence, au Salon du livre de Paris. Il est vrai que le livre est une arme bien plus redoutable pour garantir la sécurité d’un pays que ses avions et ses tanks.
Effectivement, M. Ramadan n’écrit nulle part qu’il condamne l’existence d’Israël. Il se contente de “rappeler les soixante années de colonisation” qui accompagnent son histoire. Si c’est, selon lui, depuis soixante ans et non pas quarante qu’Israël occupe un territoire et colonise un peuple, n’est-ce pas là une remise en question fondamentale de son droit à l’existence ? Sur quel territoire lui reconnaît-il aujourd’hui le droit à exister ?

LES MEILLEURS AVOCATS

En joignant sa voix à la voix de ceux qui, à Turin, appellent au boycottage d’Israël, ou qui, à Paris, en critiquent la présence au Salon, c’est bien à la culture de ce pays que s’attaque M. Ramadan, contrairement à ce qu’il prétend. Que véhicule en effet un livre, sinon une langue et une identité ?
Une langue, d’abord, celle dans laquelle doivent écrire, conformément aux critères de sélection retenus par le Centre national du livre, les écrivains invités à représenter Israël. Contrairement d’ailleurs à ce que prétendent M. Ramadan et ceux qu’il soutient, n’en sont pas exclus des écrivains arabes israéliens, comme l’atteste la présence de Sayed Kashua et de Naim Araidi au sein de cette délégation. Une identité multiple, enfin, à l’image de ce pays, et qui ne se définit en aucun cas comme la négation de l’autre, celle du Palestinien, ce dont témoignent la majorité des écrits des auteurs invités.
Et là se situe sans doute le paradoxe étonnant de la position défendue par M. Ramadan : la plupart de ces écrivains se trouvent être les meilleurs avocats de la cause palestinienne au sein de la société israélienne. Beaucoup d’entre eux sont les porte-parole de ceux qui, depuis des années, se battent pour la fin de l’occupation et la création d’un Etat palestinien à côté d’Israël, certains appelant à négocier avec le Hamas pour mettre fin à la tragédie qui ensanglante actuellement les rues de Gaza et de Sdérot.
Mais, comme me l’ont souvent dit mes amis palestiniens, il arrive fréquemment que certains défenseurs de la cause palestinienne à l’étranger soient plus maximalistes que ne le sont les Palestiniens eux-mêmes. M. Ramadan ne nie donc pas à Israël le droit à l’existence, il se limite à lui contester le droit à un territoire, le droit à une langue et à une identité !


David Chemla est président de l’association La paix maintenant.