Le 25, Contrepoints
CONTREPOINTS
Nous sommes réunis, en ce dimanche après-midi, comme tous les ans auprès du Monument du Bund-Arbeter Ring, pour célébrer, honorer la mémoire de nos proches, morts dans les camps d’extermination nazie.
En cette année 2005-5765, cela fait 60 ans que le monde découvrit horrifié, effaré la réalité des camps d’extermination.
Vous le savez cette 60ème commémoration a eu un relief particulier; ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.
A cette occasion, les problèmes de transmission de l’histoire de la Shoah ont été à nouveau évoqués et ceci à juste titre.
Nous savons, nous au Centre Medem-Arbeter Ring et au CLEJ qu’il ne suffit pas de commémorer pour transmettre et enseigner.
Nous savons qu’il importe toujours de réfléchir sur les voies et moyens de la transmission pour faire œuvre citoyenne et qu’il nous faudra toujours démontrer que ce « Horban » nous concerne aujourd’hui et dans notre quotidien, même si se le rappeler est toujours douloureux.
Nous savons, aussi, au Centre Medem, comme nos aînés au Cercle Amical que les fils du présent et du futur sont tissés sur la trame du passé.
Nous savons aussi qu’être concerné par les problématiques de l’ici et du maintenant ne peut se concevoir qu’à partir de l’étude du passé et le partage des problématiques de tous par chacun.
Vous me permettrez maintenant, d’évoquer devant vous, ce qu’on pourrait appeler une péripétie, une goutte d�eau dans la mer, mais ce détail de l’histoire se révèle être d’une importance primordiale, je dirais vitale, par rapport à notre passé et par rapport à notre présent.
Il y a une semaine de cela, nous étions un certain nombre, réunis à l’initiative de Léa Minczelès en un petit village de Lozère, nommé Malzieu.
Au Malzieu, autour de Léa Minczelès et des siens, autour de Suzy Feldman et des siens avec les habitants de Malzieu et leurs représentants nous avons dévoilé une plaque dont je vous livre le texte :
« Durant l’occupation de 1941 à 1944 de nombreuses familles juives ont trouvé refuge au Malzieu grâce à la solidarité de ses habitants.
En reconnaissance à ceux qui n’écoutant que leur conscience ont agi avec humanité.
N’oublions pas.
25 septembre 2005 »
Ainsi, un groupe d’une centaine de Juifs furent sauvés d’une mort que nous savons certaine puisque planifiée à la conférence de Wansee puis mise à exécution avec l’effrayante efficacité industrielle des Himler, Eichman et autres sinistres sbires de Hitler.
Ces noms, l’histoire les a retenu et les retiendra. Mais les noms des 6 millions de morts juifs, du million de morts tziganes sans parler des autres, qui les retiendra, qui les citera, qui les nommera, qui les évoquera ?
Certes, les livres d’histoire en marqueront la place, mais par un nombre, un chiffre : 6 millions.
Nul nom ne figurera. Ces noms seront réduits à un nombre, et l’on ne peut s’empêcher de penser que les nazis ont voulu réduire ces êtres à un nombre tatoué sur leur peau déjà meurtrie..
.. /..
C’est donc là une de nos tâches, c’est pourquoi nous nous retrouvons une fois par an pour qu’au moins une fois l’an leurs noms soient lus, leurs noms soient dits, leurs noms soient prononcés, ne serait-ce que dans le silence et la paix d’un cimetière parisien.
Et ne croyez pas qu’il s’agisse d’une tâche anodine ; pour certains elle peut se révéler trop douloureuse, car l’idée de la mort y est trop présente.
D’Auschwicz au Malzieu, de l’enfer de la Shoah, au geste, au courage des habitants du Malzieu, la disproportion est gigantesque, mais nous ne pouvons survivre que si nous croyons, que si nous oeuvrons dans le présent pour que des Malzieu soient la norme et non l’exception.
Au Malzieu, il s’agissait aussi d�une commémoration tournée vers la vie, le courage de prises de position où les Malzéviens ont engagé leurs propres vies aux côtés de celles des Juifs qu’ils ont accueillis.
Comme l’a dit Mr Raoult, héros de ces années sombres ; je cite de mémoire :
« C’est au meilleur de nous-mêmes que vous vous êtes adressé en nous demandant l’hospitalité, c’est le meilleur de nous-mêmes que vous nous avez permis d’exprimer. »
C’est ainsi qu’il remercia « ses amis juifs » comme Mr le Maire du Malzieu nous a appelé, simplement, sans ressentir le besoin d’évoquer les problèmes moyen-orientaux, ce qui arrive le plus souvent quand aujourd’hui on se déclare Juif.
Ce sont des liens de transmission qui se sont noués ce 25 septembre 2005 entre les habitants du Malzieu, leurs descendants, les enfants des écoles présents et les survivants juifs et leurs descendants pour qui enfin les récits de leurs parents prenaient le visage d’une réalité terrestre concrète, prenaient les visages de Mr Raoult, de Mme Marie-Antoinette Gras et de tant d’autres.
L’œuvre de transmission fut faite, entre les morts et les vivants, entre les vivants et les vivants.
Goutte d’eau de générosité dans la mer de l’horreur ?
Peut-être, mais nous savons qu’il y en eu d’autres de par le monde, que ce soit de la part d’individus, que ce soit de la part de communautés, comme à Shangaï.
Il me faut aussi vous dire que cet effet de transmission nous avons pu le constater jusque chez les représentants des citoyens et chez les représentants de l’Etat.
S’il n’est déjà pas courant d’entendre un maire parler simplement de ses amis juifs, il est encore moins courant d’entendre un sous-préfet commencer son discours par un éloge de la désobéissance en reprenant les paroles du gendarme Cazals qui fut une des chevilles ouvrières du sauvetage des Juifs du Malzieu et fut nommé Juste parmi les nations, à Yad Vashem.
Vous l’avez compris, nous avons assisté ce jour là, au Malzieu, à une commémoration-courroie de transmission, chargée d’émotions et d’espoirs.
C’est pourquoi, je peux dire que le « n’oublions pas » dévoilé au Malzieu il y a une semaine ; rejoint pour moi notre présence, ici, aujourd�hui, devant le monument du Bund où nous disons à nos morts en citant leurs noms et prénoms :
Nous ne vous oublions pas.
Nous ne vous oublierons pas.