Les livres de janvier – février 2021
MOI, DITA KRAUS, LA BIBLIOTHECAIRE D’AUSCHWITZ
Dita Kraus
Michel Lafon, 411 pages
Le titre laisse entendre qu’il y aurait eu une bibliothèque à Auschwitz ! Ce qui est faux, bien entendu. A quoi fait-il donc référence ? A quelques lignes dans le texte. C’est donc un titre « accrocheur » inapproprié pour ce sujet. Le titre original est « A Delayed Life », c’est-à-dire une vie retardée.
Ce texte autobiographique raconte la vie de Dita Kraus, née à Prague en 1929. Déportée avec toute sa famille à Therezin, elle passera par plusieurs camps avec sa mère avant la libération par les Anglais. Seule rescapée, elle partira en Israël avec un groupe de jeunes.
Dita Kraus a gardé intacts ses souvenirs d’enfance et d’adolescence ; c’est tout l’intérêt du livre. Elle se souvient avoir été choyée et protégée, sa mère étant restée à ses côtés aussi longtemps qu’elle a pu : elle meurt quelques semaines après la libération des camps. Restée seule et perdue, Dita sera à nouveau prise en charge.
Ce récit, écrit avec un grand détachement, montre bien que les adolescents, aidés et encouragés par les déportés adultes, vivaient la déportation à leur façon, avec une certaine dose d’inconscience qui leur permettait de survivre.
PARTAGES
André Markowicz
Incultes, 444 pages
Le sous-titre indique que ce livre est un recueil de chroniques tenues entre 2013 et 2014.
Bien qu’écrites il y a six ans, ces chroniques n’en sont pas moins intéressantes : les sujets évoqués n’ont que peu de rapport avec l’actualité. André Markowicz nous plonge dans ses préoccupations de traducteur, de découvreur de littérature russe. Il se livre à nous à cœur ouvert, avec naturel et simplicité. Cet ouvrage ne nécessite pas une lecture suivie. Bien au contraire : on l’ouvre à n’importe quelle page, et on a la surprise de tomber sur un poème de Daniil Kharms, ou sur des considérations concernant Israël, ou bien encore sur l’histoire de sa famille lors du siège de Saint-Petersbourg (Leningrad). C’est à la fois riche et foisonnant.
A découvrir.
Art Nouveau
Paul Greveillac
Gallimard, 288 pages
Un jeune architecte juif viennois, Lajos Ligeti, s’installe en 1896 à Budapest , bien décidé à se faire une place dans le monde de l’architecture, en pleine effervescence. Ce roman, que l’on peut qualifier d’historique, même si son personnage principal est de pure fiction, nous fait croiser des personnages de renom, architectes, peintres, musiciens.
De toute évidence, l’auteur s’est appuyé sur une abondante documentation pour écrire son roman qui fourmille de détails, autant politiques qu’architecturaux. Ce jeune architecte rencontrera sur son chemin un maître d’œuvre qui l’aidera à donner corps à ses créations, une femme et surtout des concurrents. L’antisémitisme n’est bien sûr pas absent.
S’il y a abondance de détails et d’informations sur le monde de l’architecture à Vienne, Prague et Budapest, cela ne suffit pas pour faire un roman exceptionnel. L’intrigue est assez mince et pas très crédible, le style affecté.
Ce livre est malgré tout intéressant pour les lecteurs qui s’intéressent au monde de l’architecture et il donne aussi envie de visiter ou de revisiter ces villes.
LES OXENBERG et les BERNSTEIN
Catalin Mihuleac
Editions Noir sur Blanc, 304 pages
C’est l’histoire d’une famille de juifs américains les Bernstein qui a réussi à Washington dans les années 1970 grâce au commerce en gros de vêtements vintage.
Soixante ans plutôt les Oxenberg achèvent de se hisser parmi la bonne société de Iași en Roumanie, Jacques le père est le meilleur obstétricien de la région, ils ont deux enfants, mais dehors les voix de la haine se mettent à gronder.
En 2001 Dora Bernstein et son fils Ben se rendent à Iași, et les deux histoires vont se rencontrer entre zones d’ombres de la mémoire collective et secrets de famille
L’auteur avec une force narrative très originale et imparable évoque l’un des plus grands tabous de l’histoire roumaine contemporaine, le pogrom de Iași le 29 juin 1941.
On a du mal à interrompre la lecture du livre tant l’auteur nous souffle le chaud et le froid: on a souvent envie de rire et parfois de pleurer quand on suit pas à pas la sinistre journée d’été qui a abouti à la destruction d’une partie de la communauté juive de Iași.
UNE MAISON TRES SPECIALE
Maurice Sendak
Mémo, 30 pages
Maurice Sendak est mort il y a quatre ans. De son vivant, il était reconnu comme le plus grand illustrateur de littérature jeunesse américain, voire mondial.
Né dans une famille juive venue de Pologne, il a débuté très jeune, en mettant en scène des enfants pleins de gaieté et d’imagination. Peu ou pas de couleur, pas d’arrière-plan ; de simples silhouettes d’enfants rieurs ou jouant la comédie, laissant libre cours à leur imagination.
Au fur et à mesure qu’il gagnait en célébrité, il a abordé des sujets plus divers, et parfois plus graves, comme dans l’album « On est tous dans la gadoue », sur la misère et la pauvreté. Dans le même temps, il a radicalement changé de technique, s’inspirant de peintres européens. Son album le plus célèbre est sans doute « Max et les Maximonstres ».
Les éditions Mémo viennent de rééditer un album de sa première inspiration. Il s’agit de « Une maison très spéciale », écrit par une de ses complices Ruth Krauss. Ce qui rend cet album irrésistible, c’est sa traduction : Françoise Morvan a réussi un tour de magie, donnant au texte français la légèreté, la musicalité et la vivacité du texte américain. L’accord entre le texte et l’image est une telle réussite que l’on pourrait croire qu’il s’agit du texte original. Saluons une fois de plus le génie de Sendak, ce fin observateur de l’enfance.
Magnifique album
Et toujours disponible les indispensables de décembre
LA VIE JOUE AVEC MOI
David Grossman
Seuil, 329 pages
Voilà une histoire bien difficile à présenter ! En effet, nous ne voudrions pas la raconter. Par ailleurs, comment dépeindre ces quatre personnages qui se débattent dans des souffrances sans fin ?
Trois femmes, trois générations meurtries : la première, par un long séjour dans un camp de concentration yougoslave. La seconde, sa fille, par « l’abandon » de sa mère. La dernière, enfin, la petite-fille, elle aussi abandonnée par sa mère et élevée par son père et sa grand-mère. Véra (90 ans), Nina, Guili. En compagnie du père de Guili, elles partent en Croatie pour visiter le camp, là où tout a commencé. C’est un voyage dans la mémoire de Véra, dans l’instabilité permanente de Nina et dans l’exacerbation des sentiments de Guili à l’égard de sa mère.
Grossman s’est inspiré d’une histoire vécue. Il a sublimé les personnalités de ses quatre personnages, en faisant ainsi de son intrigue un mouvement permanent dont on croit ne pas voir la fin.
Bonne lecture !
PS : La traduction m’a parfois gênée
ETOILES VAGABONDES
Sholem Aleichem, trad. du yiddish par J Spector
Tripode, 600 pages
Les éditions Tripode nous offrent un beau cadeau de Hanoukah : la traduction d’un feuilleton paru à New-York entre 1909 et 1911. Jean Spector a accompli un travail irréprochable.
Etabli en Amérique à partir de 1905, Sholem Aleichem, inspiré par son expérience, peint une vaste fresque du théâtre yiddish. Depuis les troupes ambulantes qui parcouraient les routes et les chemins de l’Europe de l’Est, jusqu’à leur installation à New York. C’était là qu’il fallait être. La jeunesse aspirait à la célébrité, les directeurs de théâtre à la richesse.
On retrouve dans ce chef-d’oeuvre tout ce qui fit le succès de son auteur : la langue yiddish, en majesté ; sa saveur, ses expressions, son humour, ses jurons inimitables et variés… Les personnages typiques du shtetl, avec leur statut bien établi (le pauvre chantre, le riche « entrepreneur »). Ce ne sont pas des stéréotypes, ils sont complexes, parfois même roués, se débattent dans des soucis bien réels, avec leurs qualités et leurs défauts ; Sholem Aleichem les aime tous ; nous aussi. Quant à elle l’intrigue est pleine de surprises (n’oublions pas qu’il s’agit d’un feuilleton), de détours pittoresques, mais elle est bien plus que cela : c’est une vision réaliste d’un changement d’époque lequel imprègne le théâtre. Celui-ci va se professionnalisant. La chansonnette, le vaudeville simpliste, vont peu à peu faire place à la véritable comédie musicale et au texte littéraire.
Cette œuvre maîtresse est une véritable découverte pleine de richesses à savourer lentement, pour en apprécier toutes les facettes.
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