Les livres de la rentrée 2019

LA FABRIQUE DES SALAUDS

Chris Kraus

éd. Belfond, 886 pages

Certains critiques littéraires comparent ce gros roman à celui de Jonathan Littell, à juste titre : pas seulement en raison du nombre de pages… Mais aussi de par sa conception même. Il ne faudrait pas y voir une histoire, très complexe au demeurant, racontée au premier degré. Quand bien même on y trouve des traces de véracité. Le général Gehlen a bien existé, il a bien dirigé un service d’espionnage,… Autre rapprochement possible, celui de la démesure, celui d’une vision globalisante du nazisme.

Nés dans une famille allemande un peu atypique, deux frères Hubert et Konstantin, dit Koja s’engagent dans le nazisme. Une petite fille orpheline, Eva, vient rejoindre la fratrie…. Koja est le narrateur de cette histoire touffue qui s’étend sur une durée de 70 années. Impossible à relater, tant elle est complexe, l’intrigue ne fait que mettre en valeur les fondements du Mal, de la malléabilité et de la lâcheté humaines. Nous nous enfonçons de page en page dans un puits sans fond, celui de l’hypocrisie humaine. Les pires d’entre nous ont aussi leurs moyens de résilience… Il n’y a pas d’innocent dans ce roman, pas même les victimes, “obligées” de collaborer après la guerre avec leurs anciens bourreaux.

Roman douloureux donc, et désespéré, sur la nature humaine.

ICI ET MAINTENANT

Robert Cohen

éd. Joëlle Losfeld, 417 pages

Ce roman vient d’arriver à la bibliothèque. Sam Karnish, le personnage principal, est un curieux mélange fait de doute, de procrastination et de solitude. Au début du récit, tout va mal pour lui : sa vie amoureuse est un échec, son travail de journaliste n’est pas assuré de durer et sa vie n’a pour lui aucun sens. Le fait d’être juif semble le cadet de ses soucis, d’autant plus que sa culture est inexistante.

Tout semble changer lors d’une rencontre loin d’être providentielle : au cours d’un voyage en avion, il rencontre un jeune couple de Loubavitch, lequel va essayer de le remettre sur la bonne voie.

L’auteur a beau avoir beaucoup d’humour, Sam reste un personnage assez pathétique, incapable de prendre des décisions sans le coup de pouce du destin. Destin qui se moque bien de lui!

Un peu bavard, mais néanmoins intéressant .

La menteuse et la ville

Ayelet Gundar-Goshen

éd. Presses de la Cité, 348 pages

Ce roman facile à lire nous raconte la vie d’une adolescente de 17 ans, Nymphea, empêtrée dans un mensonge dont dépend la vie d’un homme : elle accuse de viol un client brutal dont la violence verbale l’a profondément blessée. Interrogée par la police, elle maintient sa version, ce qui lui donne droit à la Une des médias.

Or, au cours d’un voyage scolaire à Auschwitz, elle fait la connaissance d’une vieille dame venue là pour témoigner, alors même qu’elle n’a jamais vécu dans les camps… Les conseils avisés de la dame ne lui sont d’aucun secours, bien entendu.

Nous ne dévoilerons pas le fin mot de l’histoire, un peu tirée par les cheveux. L’intérêt de ce roman réside dans les portraits des adolescents essayant d’échapper à des contraintes qu’ils rejettent : le souci des parents concernant l’avenir, les mesquineries du lycée, les jalousies …

Pas un grand roman, donc; mais certaines lectrices y trouveront leur compte.

INDECENCE MANIFESTE 

David Lagercrantz

Actes Sud, 381 pages

Ce roman noir passionnant nous avait échappé lors de sa sortie… C’est une enquête menée lors de la mort de Alan Turing, dont on ne sait s’il s’est suicidé, ou si c’est un crime. Le nom de Alan Turing devrait vous alerter : grâce à son génie mathématique, il a réussi à décoder les machines à crypter Enigma des nazis. Cela a obligé les Alliés à ouvrir les yeux sur les massacres de juifs et sur la déportation, alors même que le bundiste Artur Zygelboim criait dans le désert.

Nous sommes en 1954. L’inspecteur Leonard Corell est chargé de l’enquête. Il ignore presque tout de la “victime” qui travaille pour les services secrets anglais. Progressivement, ces derniers s’infiltrent dans l’enquête, craignant que des secrets de défense soient dévoilés. Pourquoi l’option criminelle est-elle sérieuse? D’une part, Turing est détenteur d’un savoir qui doit rester secret; d’autre part, c’est un homosexuel avéré, un personnage totalement atypique qui se moque des convenances. Or, à cette époque, toute la société honnit les homosexuels… l’inspecteur de police y compris.

Nous suivons donc l’enquête, jour après jour, tout en observant la façon dont Corell se débat dans une mare infestée de crocodiles… Lui qui estime sa carrière ratée, qui doit composer avec trop de supérieurs, de politiciens anxieux, reste un policier honnête et clairvoyant jusqu’au bout.

La tension qui règne tout au long de l’histoire n’est pas seulement liée à l’enquête : l’auteur revient sur les difficultés et les problèmes mathématiques qui ont émaillé les découvertes de Turing, à qui l’on doit aussi le premier ordinateur!

Passionnant

MUR MEDITERRANEE

Louis-Philippe Dalembert

éd. Sabine Wespieser, 330 pages

Excellent roman inspirée par les évènements, ce livre dresse le portrait de trois réfugiées clandestines originaires de pays en guerre.

Ces trois femmes n’ont rien en commun : issues de cultures différentes, de pays différents, c’est l’embarquement sur un vieux chalutier qui les a réunit. Avant d’avoir eu la chance d’embarquer, chacune a fait un voyage plein de souffrances.  La vie sur ce raffiot s’avère intenable pour les 750 clandestins. Les uns, majoritaires, parce que confinés dans la cale, sans air, sans hygiène, mourant de soif, dans la promiscuité. Les autres, un peu mieux lotis, sur le pont, mais craignant l’irruption de ceux d’en bas. L’équipage sans foi ni loi n’hésitera du reste pas à assassiner une partie des “calais” du fond de la cale.

Ecrit sans pathos mais avec beaucoup d’empathie, ce roman est bouleversant. Et inoubliable…

QUE LA BETE S’EVEILLE

roman policier des Kellerman père et fils

éd. Seuil, coll. Points, 664 pages

Ce roman policier et fantastique tout à la fois n’est pas une réussite.

Cependant, il a sa place dans notre bibliothèque, dans la mesure où le monde juif y est omniprésent : à la fois sous les traits de l’inspecteur de police très fûté Jacob Lev, et de par les très nombreuses incises bibliques. Pour Lev, il s’agit de retrouver le meurtrier d’un homme dont on a découvert la tête, sans corps. L’intrigue ressort du genre fantastique car un étrange insecte rôde autour de l’inspecteur, le suivant à la trace jusqu’à Prague…

Peu convaincant, encombré par une mise en abyme mal ficelée, mais avec un flic juif plutôt sympathique.

L’HIVER OU J’AI GRANDI

Peter van Gestel, Gallimard

Folio junior, 371 pages

Ce beau roman jeunesse s’apparente aux grands classiques de la littérature enfantine. Gestel n’a pas oublié ce qui fait souffrir, rire ou pleurer les enfants :

Nous sommes en Hollande, en 1947. Thomas dix ans est orphelin de mère. L’année précédente, il a fait la connaissance d’un “nouveau” à l’école, Piet Zwann. Petit à petit, Thomas découvre l’histoire de Piet, rescapé de la Shoah, tout comme sa cousine Bet. Ces deux survivants s’occupent de la mère de Bet, traumatisée et dépressive. Les trois enfants deviennent inséparables et Thomas comprend peu à peu à demi-mot les souffrances endurées par ses deux amis.

C’est un roman bouleversant que des adultes peuvent lire au même titre que les ados.

LE TEMPS DES ORPHELINS

Laurent Sagalovitsch

éd. Buchet-Chastel, 218 pages

Laurent Sagalovitsch nous avait habitués à un ton sarcastique. Dans son dernier roman, il change totalement de registre : il nous raconte très sobrement comment un jeune rabbin américain s’engage dans l’armée américaine au moment du débarquement. L’armée va lui confier un rôle pour lequel il n’est pas préparé, participer à l’ouverture des camps. Le premier choc, c’est la rencontre avec un enfant de quatre ou cinq ans devenu muet. Le second choc est pire, car c’est la découverte des chambres à gaz. Il comprend alors qu’il ne pourra jamais plus exercer son rabbinat, ayant perdu la foi.

Ecrit par un homme bien trop jeune pour avoir connu la Shoah, ce livre sensible et plein d’empathie est bouleversant. On peut aussi être orphelin de Dieu.

Nos sélections récentes

Et aussi les plus anciennes sélections de la bibliothèque